Examen minutieux du taux de réforme des truies en repensant les acclimatations de cochettes

Par Dr. Hyatt Frobose

Tout le monde ne sera pas en accord avec les arguments que j’avance dans cet article. Cependant, je suis fatigué d’entendre des plaintes sur le taux de mortalité des truies et sur l’accord général de l’industrie pour plus de recherches en acclimatation de cochettes. Je demeure aussi déçu du manque de stratégies pratiques et tangibles que les producteurs pourraient facilement rapporter à la maison et mettre en place dans leur ferme pour voir des changements notables dans leur taux de réforme.

Honnêtement, je crois qu’il est gênant de voir que nous sommes devenus trop indifférents envers les niveaux actuels d’abattages prématurés et du taux de remplacement des truies dans les troupeaux nord-américains. Malgré tout, je crois qu’il est préférable de mettre nos sentiments idéalistes concernant le bien-être animal de côté et de regarder uniquement les chiffres.

La majorité des études démontre que la truie ne génère pas de retour sur investissement avant d’avoir atteint sa troisième parité (Stalder et. al., 2003; Gruhot et. al, 2017). Tout de même, comme démontrent les tendances annuelles de Agristats et de SMS représentant une proportion significative des fermes aux États-Unis, une grande proportion de l’industrie n’arrive pas à atteindre ce seuil économique pour la parité moyenne de leurs truies.

Dans une période pendant laquelle plusieurs systèmes porcins sont durement touchés par des prix bas sur le marché et par leurs revenus en général, il y a une opportunité d’examiner minutieusement les secteurs dans lesquels les producteurs pourraient réduire leurs coûts tout en améliorant l’efficacité de reproduction de leur troupeau.

Les troupeaux ayant un taux de réforme plus grand que 50% sont maintenant la norme. Ceux-ci doivent donc inévitablement garder une quantité plus grande de cochettes, ce qui a tendance à causer des coûts plus élevés en termes d’opération et de frais généraux en plus d’ajouter plus de jours non-productifs, ce qui réduit encore la profitabilité du système.

Ne vous en faites pas, je ne préconise pas que l’industrie garde ses truies jusqu’à ce qu’elles atteignent leur 10e parité. Néanmoins, avec des moyennes de parité oscillant entre 2.4 et 2.6, nous échouons à capitaliser sur les parités les plus productives de nos truies (2 à 4) alors que la quantité de nés-totaux ne diminue pas avant la 5e (Malopolska et. al., 2018).

Dans des discussions avec la renommée Dr. Temple Grandin, je me souviens l’avoir entendue parler de sondages informels qu’elle faisait dans l’avion. Elle demandait aux consommateurs ce qu’ils pensaient des cages de gestation individuelles. Les résultats de ces sondages démontraient que plus du 2/3 des participants interrogés avaient un sérieux problème avec cette façon de garder les truies gestantes. Je me demande aujourd’hui quels seraient les résultats des sondages du Dr. Grandin si elle demandait aux consommateurs s’ils sont à l’aise que plus de la moitié des troupeaux en maternité doivent être remplacés chaque année. Est-ce que ces consommateurs auraient le même niveau de préoccupation?  

L’augmentation généralisée du taux de mortalité des truies a, récemment, reçu beaucoup d’attention et d’étude. Les résultats économiques sont simples, eux aussi. En faisant un simple calcul, chaque 1% additionnel en mortalité des truies ajoute un coût supplémentaire d’au moins $0.11 USD/ animal sevré (0.14$ CND). Alors que la mortalité des truies doit recevoir continuellement de l’attention, dans cet article, je mettrai l’accent sur les cochettes qui entrent dans le troupeau, mais qui sont abattues prématurément, sans avoir atteint leur 3e parité et qui n’ont alors, pas atteint leur seuil de profitabilité. Selon la base de données SMS qui regroupe plus de 1.6 millions de truies, près de 50% des truies réformées sont des parités 0 à 2 (Ketchum, 2019) et Pollman (Leman Conference 2012) a rapporté que 42% des femelles sélectionnées pour être reproductrices ont 19 porcelets ou moins dans leur vie productive.

Peter Drucker, le consultant d’affaire mondialement reconnu a été cité disant « Dans la majorité des organisations, le goulot d’étranglement est le goulot de la bouteille ». Je crois que cette citation peut aussi s’appliquer quand on parle des défis de notre industrie en termes de durée de vie des truies et de leur retrait trop rapide des troupeaux. Nos programmes d’acclimatations de cochettes représentent, dans cet exemple, le goulot de la bouteille. Alors que les cochettes sont élevées de plusieurs façons autour du monde, il y a des opportunités communes pour lesquelles une remise en question peut être une garantie et où une modernisation pourrait être bénéfique en aval de la production.

Le taux de croissance des cochettes

En Amérique du Nord, la majorité des cochettes sont installées dans un environnement similaire à celui des animaux en engraissement. L’alimentation à volonté est disponible jusqu’à quelques jours seulement avant la saillie. À ce moment, la majorité des cochettes reçoit des diètes marginalement très élevées en amino-acides, vitamines et oligo-minéraux. Alors que cette stratégie d’élevage prévaut parce qu’elle est commode, constante et très disponible, ce n’est pas nécessairement la meilleure pour la durée de vie des truies.

Une recherche de Malopolska et. Al. (2018) a démontrée qu’un taux de croissance plus rapide des cochettes influence négativement la fertilité et le nombre de porcelets nés et élevés lors de la première portée, en plus d’être moins susceptibles de mettre-bas, et de diminuer ainsi la durée de vie des truies. En fait, donner 50% de moins de lysine aux cochettes dès 30 kg jusqu’à la saillie permettait de réduire de 4% le poids des truies matures et tendait à augmenter la longévité des truies à plus de 6 parités, en comparaison à des cochettes ayant une diète élevée en lysine (Edge et. Al., 2003).

Réduire la quantité d’énergie ingérée pour ralentir la croissance

Dans une approche différente, restreindre modérément la quantité d’énergie ingérée (74% à volonté) en limitant la prise alimentaire tout au long de la période d’engraissement a résulté en 30% d’embryons vivants supplémentaires par unité d’aliment consommé, a rapporté Klindt et. Al. (1999). Également, des bénéfices similaires en termes de reproduction ont été démontrés dans plusieurs autres recherches portant sur la restriction alimentaire modérée.

Généralement, les tentatives de réduction d’intrants caloriques en regroupant simplement des diètes fibreuses par produits n’ont eu que des résultats limités, puisque les cochettes compensaient l’extra fibre en augmentant la quantité d’aliment ingérée (Coffey, Leman Conference, 2019). Similairement, des recherches présentées au Leman Swine Conference en 2018 (Lents et. Al.) ont démontrées que les cochettes étant alimentées avec une limitation énergétique de 15% avaient plus de chance de demeurer dans le troupeau pour avoir une 2e ou une 3e portée.

Déplacer les cochettes en mise-bas

Nous devons également prendre en compte l’effet que la gestion des cochettes a sur la façon dont elles performent quand elles sont déplacées en mise-bas pour la première fois. L’un des problèmes les plus rencontrés dans les acclimatations de cochettes commerciales, et de loin, est que les cochettes grossissent trop vite et sont plus grosses que prévu idéalement (135 à 150 kg) à la saillie (Calderon-Diaz et. Al, 2015).

Bien que les effets négatifs des truies trop grasses (>20mm gras dorsal) soient bien connus sur le taux de mort-nés (Faccin et. Al., 2017) et sur le développement de tissus mammaires (Farmer, 2018), les cochettes étant beaucoup trop lourdes et trop grosses à l’entrée demeurent courantes et tendent à quitter le troupeau prématurément puisqu’elles consomment moins d’aliment en lactation, perdent plus de leurs réserves corporelles et ont constamment moins de succès aux saillies suivantes (Young et. Al. 2004).

Considérant les données disponibles, deux options apparaissent comme étant viables :

1. Changer la méthode de présentation de l’aliment

Changer la méthode de présentation de l’aliment pour restreindre modérément les cochettes dès la fin de la pouponnière en se donnant des objectifs de gain de 750-800g/jour (1.65-1.76 lb/jour) jusqu’à 2 semaines avant la saillie.  

2. Changer la composition de la diète

Si l’alimentation à volonté est la seule option, ajoutez des fibres, augmentez la grosseur des microns et ajustez les objectifs d’énergie et de lysine de 15% afin de diminuer le taux de croissance.

Un autre bénéfice important du contrôle du poids de la cochette à la saillie peut être l’option de limiter la grosseur des truies matures et donc de réduire les coûts annuels de maintenance.

Gestion des cochettes et aménagement

Bien que de modérer le taux de croissance des cochettes semble être la meilleure opportunité pour gagner du terrain en termes de rétention des cochettes, certains autres outils existent également. Trop souvent, les acclimatations de cochettes en ferme sont pensées après coup quand on en arrive à la gestion quotidienne du troupeau.

Répliquer l’environnement de la ferme

Les enclos dans lesquels les cochettes sont développées doivent imiter l’environnement qu’elles expérimenteront une fois qu’elles seront saillies et entreront en production. Assurez-vous que vos cochettes vivent dans le même contexte en ayant le même plancher, la même température ambiante ainsi que les mêmes abreuvoirs que ce qu’elles expérimenteront au bloc-saillie, en gestation et en mise-bas. Lorsque possible, maintenez les groupes de cochettes ayant évolués ensemble en acclimatation pour leur gestation en groupe afin de minimiser les interactions négatives. En général, la ségrégation par parité a tendance à diminuer les agressions entre les plus jeunes et les plus vieilles truies en plus d’augmenter les taux de mise-bas des P1 et des P2 (Li et al. 2012). La gestation en groupe a également plusieurs éléments à considérer. L’un de nos blogues précédents discute ces éléments.

Choisir un système d’alimentation

Contrairement aux engraissements qui opèrent généralement en concept tout-plein, tout-vide, les acclimatations de cochettes ont généralement une variation continue dans laquelle certains groupes de cochettes deviennent disponibles pour la saillie chaque semaine. Ceci présente un dilemme pour les designs de fermes puisque les propriétaires de ferme doivent choisir entre investir dans un système d’alimentation ayant la capacité de nourrir adéquatement en phase (typiquement 3 à 6 phases) ou de conserver ces montants et d’imposer des limitations logistiques sur la façon dont les cochettes seront alimentées.

Malheureusement, cette dernière option est souvent choisie, en coupant l’herbe sous le pied des nutritionnistes qui n’arrivent pas à nourrir les cochettes de façon appropriée. Également, des systèmes d’alimentation supplémentaires requièrent parfois plus de mouvement de cochettes, demandant plus de main-d’œuvre, ce qui est généralement déjà un problème en acclimatation de cochettes.

L’une des approches alternatives possible implique d’investir dans des technologies disponibles commercialement et qui permettent d’incorporer l’alimentation de précision au niveau de l’acclimatation de cochettes. En utilisant des technologies, comme le Gestal Evo Opti, qui permettent de mélanger deux diètes de base et de livrer des diètes multi phases à un groupe de porcs en se basant sur leur âge et leur poids, les producteurs peuvent réduire le coût des diètes, augmenter l’efficacité de celles-ci (Frobose et al. 2014), et incorporer des vitamines et des oligo-minéraux pré-mélangés pour permettre un développement optimal du squelette plus tôt dans la vie de la cochette.

En ayant besoin que de deux diètes, cette approche de mélange d’aliments permet également de diminuer les contraintes de la moulange et de minimiser les possibilités d’erreur de livraison de moulée. Ce sont d’ailleurs des raisons souvent citées expliquant pourquoi plusieurs systèmes sont, aujourd’hui, incapables de donner le bon nombre de diètes à leurs cochettes. Également, en apportant automatiquement différentes diètes directement aux cochettes, les erreurs de budget des diètes et la main-d’œuvre nécessaire pour déplacer les animaux peuvent être minimisés et redirigés ailleurs dans la ferme. Finalement, les technologies de mélange d’aliments peuvent offrir de la flexibilité, ce qui permet d’aider la gestion des cochettes et des truies dans des situations anormales comme dans les démarrages de fermes et les fermetures de troupeaux dûes à la maladie.

Mesurer l’efficacité du troupeau

Porcelets par truie par année (Porcelets/Truie/An) et porcelets sevrés par femelle saillie par année (Sevrés/Truie/An) sont les valeurs utilisées le plus couramment pour comparer la performance du troupeau parmi les maternités. Par contre, dû à la différence de méthode de calcul, ces métriques ont une valeur limitée en dehors de se ‘’vanter devant les autres producteurs’’ et contribuent souvent au problème des faibles taux de rétention.

En conséquence, il y a de plus en plus de besoins pour un calcul qui reflète les résultats économiques réels et le pouls des saillies dans les troupeaux commerciaux (Stalder et. al, 2019). L’une des alternatives proposée est d’utiliser les porcelets sevrés par 100 jours de vie de troupeau (Sevrés/100 jours de vie de troupeau), ce qui demande aux producteurs d’être constants dans l’entrée des cochettes à un moment régulier, mais ce calcul pourrait être une meilleure réflexion de l’efficacité réelle des troupeaux.

Comme démontré dans le tableau adapté de 13 troupeaux-exemples (ci-dessous), certains troupeaux se classent très mal selon le calcul traditionnel (Sevrés/Truie/An) mais performent très bien selon le calcul proposé(Sevrés/100 jours de vie de troupeau).

Les cochettes peuvent historiquement avoir été considérées comme  un investissement peu cûteux, mais en tant qu’industrie nous nous sommes habitués à introduire des cochettes autour de 70% pour saillir à 55%, ce qui représente le taux de réforme des truies. Ceci laisse des milliers de dollars sur la table.

Comme démontré par Holtkamp (2019), la mise en place d’un programme de gestion des cochettes a permis d’atteindre 10% de réduction en termes de taux de remplacement des cochettes (62% à 52%) dans une ferme de 2400 truies. Ce qui leur a également permis d’apporter 829 porcs supplémentaires à l’abattage pour 222 310 livres supplémentaires produites par année, ce qui les a mené à un ratio de bénéfice 2.41 :1.

Une fois que vous comptez les royautés payées aux compagnies génétiques, les frais généraux par animal et la valeur actuelle très basse des truies abattues, ne serait-ce pas une bonne stratégie que de réaligner vos programmes de gestion des cochettes pour améliorer votre taux de rétention?

À vous de juger. 

   

Références

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Faccin, J.E.G, F. Laskoski, P.E. Lesskiu et al. 2017. Reproductive performance, retention rate, and age at the third parity according to growth rate and age at first mating in the gilts with a modern genotype. Acta Sci. Vet. 45:1452.

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